Interview de Danü Danquigny

– Qu’est-ce qui vous a décider à participer à l’appel à texte « La Cour des miracles » et le Prix littéraire Mille Saisons ?

Je n’ai pas participé à un cours de nouvelles depuis une bonne dizaine d’années. Je ne pensais plus le faire. Et puis j’avais cette histoire dans la tête, qui poussait et ne demandait qu’à sortir, mais qui se retrouvait invariablement reléguée derrière les autres projets en cours, plus urgents, plus avancés…

Tombé un peu par hasard sur l’appel à texte « La cour des miracles », j’ai trouvé le projet sympa sur plusieurs plans. Le format, déjà : beaucoup de concours exigent des textes très courts, souvent trop courts. Le thème, son côté canaille mystérieuse. Mais surtout, c’est flagrant, il y a une véritable intention éditoriale dans la création de ce prix. Si les éditions Mille Saisons m’était inconnues, en tant que vieux rôliste, je n’ai pas pu passer à côté du Grimoire.

Il y a eu comme un fourmillement, alors j’ai gratté quelques pages, et voilà.

– Est-ce votre première expérience d’écriture ? Si oui ou non, que pouvez-vous nous dire sur son déroulement créatif et/ou de vos « habitude » d’écriture ?

L’écriture est une maladie infantile, je l’ai attrapée comme d’autres chopent les oreillons. Ça m’a laissé le temps d’essayer différent supports et formats : poésie, nouvelles, chansons, roman court, roman tout court, scenarii… Et ça doit bien faire dix ans que je n’avais pas écrit une nouvelle, m’attelant de préférence à des travaux de plus longue haleine. Mais c’est presque toujours pareil.

D’abord il y a l’idée, elle survient un peu par accident, au détour d’une conversation, d’une ballade, d’un paragraphe. Si elle me plait, je joue avec, je tourne autour, je la malaxe. Je la laisse vieillir un peu pour voir si elle se bonifie ou devient de la piquette.

Quand j’en viens à savoir ce que je vais en dire, de cette idée, je me demande comment je vais le raconter. J’ai à côté de mon lit un petit bouquin qui réunit les deux différentes versions publiées du Horla, de Maupassant. Dans la première, un cercle de professionnels se réunit pour entendre le témoignage d’un patient qui leur raconte sa cohabitation involontaire avec cet « autre ». C’est une bonne nouvelle. Dans la seconde, l’auteur rapporte cette inquiétante présence, mais cette fois sous la forme d’un journal intime. C’est le chef d’œuvre que tout le monde connaît. C’est exactement la même histoire, mais l’éclairage porté dessus donne au mystère une dimension angoissante.

Quand j’ai décidé que je tiens mon idée et mon (mes) angle(s) narratif(s), j’établis un plan détaillé, un mini-synopsis qui est à la fois le fil rouge que je garderai en ligne de mire pendant la rédaction et un élément qui ne va cesser de subir des modifications au fil de l’écriture. La trame ne peut pas être figée avant que l’histoire ne soit racontée, sinon ça ne sert à rien de l’écrire.

Alors seulement, je m’attaque à l’écriture à proprement parler. J’ai bien quelques phrases ou paragraphes, pondus à l’envolée, notés ici ou là, mais pour l’essentiel j’attends cette étape pour donner de la chair au récit. D’abord à la main, sur un cahier d’écolier, plus pratique à trimballer. Et enfin, je le passe à la bécane, ça me donne l’occasion d’une réécriture.

J’ai un boulot, une famille, une vie sociale, et je ne fais pas partie de ces gens qui ont la chance de pouvoir se couper du monde pendant quinze jours ou trois semaines pour écrire. Je crois en revanche beaucoup au rythme. J’écris tous les jours. Parfois vingt minutes, parfois trois heures. Plus souvent autour d’une heure. Mais tous les jours.

– Comment vous est venue l’idée de votre Cour des miracles ?

Il y a deux éléments à l’origine de Sapiens© Incertus. Le Sapiens© d’abord, qui pense et analyse à la place de l’homme, aboutissement des processus actuels : la machine qui devait compléter l’homme vient suppléer ses fonctions. Des types me disent que depuis internet, on a plus besoin de se souvenir. On parle de ne plus apprendre l’écriture graphique aux enfants, pour lesquels le clavier ou le tactile serait plus adaptés. Dans certains secteurs commerciaux, une application va décider des stratégies commerciales en fonction du marché et du comportement de la concurrence. Je fais partie d’une génération qui répugne à utiliser une calculatrice et aime noircir des pages entières au stylo bille, alors forcément, ça me fait peur. Quand le tournevis vous aide à monter le meuble, c’est bien. Quand il le fait à votre place, ça n’est plus un outil. Et vous, au final, vous n’avez pas la moindre idée de comment sont assemblées les foutues planches qui forment votre étagère.

L’autre question, la plus importante sans doute, c’est celle du « que faire ? ». Comment sortir d’une dérive mondialisée, où aller pour y échapper ? Comment même réfléchir à partir d’informations de seconde main, préparées par d’autres ? Et qui sont ces autres-là, d’ailleurs ?

– Lecteur/Auteur ? Comment en êtes-vous arriver à lire /écrire de la SF , Fantasy, etc?

A la base, ma zone de confort, c’est le noir. Le film noir, le roman noir, le drapeau noir. Je lis peu de SF et de fait suis assez sélectif en la matière : Gibson, Brunner, Silverberg ou plus récemment Damasio (découvert après l’écriture de Sapins© Incertus, mais dont j’apprécie énormément le style coup de boule, la plume affutée et la vision lucide).

En tant qu’auteur, ce qui me botte dans l’anticipation, c’est cette possibilité de parler de demain pour dire aujourd’hui, d’extrapoler les tendances actuelles pour envisager un après. En forçant le trait sur les dérives contemporaines, même légèrement, il devient possible d’évoquer des problématiques en les désincarnant. Détaché de la dictature de l’immédiateté et des « tendances », le récit d’anticipation permet de pointer du doigt en esquivant la partisanerie. Et de raconter une bonne histoire.

– Si vous les lecteurs vous donnent Le Prix Mille Saisons, quel sera votre projet d’écriture ?

Au départ, l’idée qui sous-tend Sapiens© Incertus est celle d’un roman, qui parlerait de failles et de gauchers.

Si les lecteurs me donnent cette chance, j’irai dans cette direction. Un roman à plusieurs points de vues sur Granpa’ et ses jumelles, les tours étincelantes et les bas-fonds, sur le Sapiens© et les chaussettes blanches, sur l’utopie d’un ailleurs ou d’un dehors, sur ces questions aussi de savoir jusqu’à quel point l’homme est prêt à externaliser ses fonctions propres et à remettre son destin aux mains d’un algorithme. L’aliénation volontaire, contrepartie dispendieuse de la demande sécuritaire (sécurité physique, sanitaire, professionnelle, affective, etc.), et son corollaire, le contrôle tous azimuts et forcené, sont-ils des phénomènes inéluctables ou des tendances savamment entretenues ?

L’avenir est à inventer, reste à savoir ce qu’on veut en faire.

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