Messagepar Jean-claude Dunyach » 31 Août 2007, 22:31
Bon, je suis masochiste, je poste ici...
Franchement, je viens de me payer l'enfilade complète, avec un écoeurement croissant. Mes aïeux...
Dans ma réalité à moi, quand un boulanger voit rentrer trentre clients par jour qui lui demandent de la viande hachée, des fleurs ou du liquide vaisselle - et qui en plus lui expliquent qu'il est un commerçant, donc c'est son boulot - ça finit à la kalachnikov. Alors qu'un éditeur de fantasy qui reçoit 30 manuscrits de poèmes, souvenirs de vacances au Maroc, théorie de la conspiration anti ceci ou cela, il est censés les lire et donner son avis, sans râler ? Vous habitez où, les mecs ?
Dans ma réalité à moi, je travaille 4 jours sur 5 à Airbus (c'est un grand groupe industriel, au fait, pour ceux qui l'ignoreraient - et entre autres choses j'organise des congrès scientifiques et des salons, donc je connais aussi le prix des stands) et le reste du temps, je suis éditeur de SF chez Bragelonne. Bragelonne n'est pas un industriel, c'est une structure commerciale - très bien gérée, la preuve étant qu'ils sont encore là - mais qui correspond à une PME, avec des éléments très spécifiques. L'auteur, en général, ne sait pas ce qu'il faut faire pour vendre ses livres, il veut faire ceci ou cela (passer à la télé, être invité au festival à côté de chez lui parce que c'est pratique) mais l'éditeur en face lui parle de travail de fond, de rencontres de libraires, etc, etc, et c'est un dialogue de sourds. On demande aux éditeurs d'être des commerciaux alors que les auteurs veulent avant tout être des artistes...
Dans ma réalité à moi, les éditeurs se foutent bien de coucher avec leurs auteurs - pour le prix que coûte un bouquin d'un nouvel auteur à lancer, je pourrais me payer la troupe du Crazy Horse. Si c'est le cul qui nous motivait, mes chéris, on ferait du rock - j'en ai fait, je sais de quoi je parle.
Dans ma réalité à moi, le premier Harry Potter a été publié pour une bouchée de pain, en Angleterre comme dans beaucoup d'autres pays - en France aussi, d'ailleurs. Idem pour le second, crois-je. Ca n'a cartonné que tardivement, et on pouvait se payer Harry Potter 1 pour 3 000 ou 4 000 euros. Eh oui...
Dans ma réalité à moi, Houellebecq ou Nothombe sont des écrivains avec de vrais morceaux de vrai talent dedans. En plus, ils vendent, et ça, ça fait chier les médiocres qui aimeraient en faire autant. En plus, ces auteurs talentueux, à la personnalité forte (ça va souvent de pair) ont bâti un personnage qui les aide à être interviewés, et qui leur donne une visibilité médiatique. Ce sont des pourris, ou des gens sincères, qui expriment ce qu'ils sont ? Ben on s'en fout, en fait. Dans ma réalité à moi, ce sont les bouquins que j'invite chez moi, pas les auteurs.
Dans ma réalité à moi, le nombre de bouquins disponibles en France - le fond - est très élevé, l'offre n'a jamais été aussi variée (eh oui, c'est bien joli de raconter des conneries sur l'abrutissement du lectorat à coups de Marc Levy, mais faut regarder les statistiques de vente qui nuancent sérieusement ce genre de contre-vérités péremptoires - on vend Danilewski, aussi, et plutôt bien) et le lecteur a lee choix. Les surprises commerciales viennent parfois des avant-gardes, et on a vendu très bien chez Bragelonne des bouquins publiés "pour se faire plaisir", ont on pensait qu'on rentreait à peine dans nos fonds (voyez "Days", de Lovegrove).
Dns ma réalité à moi, j'ai reçu un jour de Gallimard - c'est un éditeur, pour ceux qui l'ignorent - un petit bouquin avec un post-it dessus, qui disait "Tiens, vous qui aimez vraiment les livres, ça devrait vous plaire, c'est un machin totalement inclassable, ni fait ni à faire, on l'adore tous ici (c'était un mec de la fabrication qui parlait) mais on n'en vendra pas un seul - mais vous, vous allez l'aimer". J'ai lu, j'ai adoré, j'en ai acheté plein, pour les offrir autour de moi et, quelques mois plus tard, la presse a commencé à réaliser que ce bouquin faisait parler de lui et se vendait. Les journalistes ont fait des papiers, effets boule de neige, etc.
Le bouquin en question s'appelait "La première gorgée de bière, et autres plaisirs minuscules", de Delerm.
Et Gallimard est un éditeur. C'est ça, un éditeur.
Je vous poutoune,