J'ai l'impression que le débat ici est quand même un peu parti pour brasser des généralités. On va citer 20000 bouquins pour en dire presque rien, et on ne pourra pas dégager quelque chose de général parce que la question n'a pas de réponse et que chacun lit trop vite les interventions des autres.
Cependant, je succombe à la tentation, je me permets de rajouter quelques points de vue à ce dialogue de sourds...
Pour moi, les meilleures histoires n'ont rien à voir avec une quelconque perfection. Nous sommes tous bancals, pleins de compromissions, de secrets, nous ne tournons pas toujours très rond. Nous vivons dans un monde branlant, bancal, et on ne s'y trouve pas si mal. La perfection n'est pas pour nous. Et les meilleures histoires sont celles qui savent comment nous parler, qui nous prennent par nos points faibles pour nous emmener où elles veulent. Celles qui nous volent notre temps, notre attention ; qui nous tiennent par le cerveau, par le coeur, par les c... (ou équivalent chez les demoiselles), par un peu tout ça à la fois. Et cette façon de fonctionner du roman ne colle pas avec l'idéalisme de l'écrivain courant.
Et ce fonctionnement avec mépris n'y changera rien. Prétendre que produire de tels textes est facile, montre juste qu'on n'a jamais sérieusement essayé. Et il n'y a pas de distinction à faire ici entre "populaire" et "élitiste". Pas besoin de convoquer madame Glandu. Parce que tout le monde fonctionne de la même manière, peu importe la classe sociale, la culture, le raffinement, la bonté d'âme, les aspirations...
Jean Giono expliquait ce que pour lui devait être un romancier : son modèle du romancier était le conteur arabe, qui s'asseyait autrefois au coin de la rue, qui commençait à raconter un truc, et à qui on jetait des pièces. Giono disait qu'on aurait dû faire passer une sélection à tous les aspirants écrivains : les asseoir à un carrefour avec une sébile, et leur dire "Voilà, maintenant, raconte. Si tu veux manger aujourd'hui, raconte". Et les bons romanciers seraient ceux qui arrivaient à bouffer ce jour-là (Giono ajoutait, à propos de son copain André Gide : dans ce cas-là, Gide serait mort de faim).
Si on cherche la perfection en écrivant de la fiction, on peut approcher effectivement de quelque chose ; mais quelque chose qui n'est pas de nous, qui n'est pas à nous. Quelque chose de chiant. Et un auteur qui se satisfait d'être chiant, d'après moi, n'est pas fait pour raconter.
la "psychologie des personnages" se signifie rien. Ce n'est pas parce que la psychologie est une science récente, à la mode, que tous les profs de français en sont fous, que ce doit être un incontournable dans un roman ; quasiment personne, parmi les écrivains, ne s'y connaît réellement en psychologie, je veux dire la science qui permet de comprendre, d'aider les fous et les traumatisés. On essaye tous, un jour où l'autre, de fabriquer des personnages "cohérents", qui sont ceci parce qu'ils ont été cela, et qui cachent qu'ils sont cela parce qu'ils ont peur qu'on croie qu'ils sont ceci : eh bien ça ne marche pas, ça ne prend pas ; ils restent "fabriqués", justement. Je pense que ce qu'il faut pour faire fonctionner ses personnages, ce sont quelques rêves, quelques tics, des conflits, et surtout les mettre dans des situations où ils vont se sortir les tripes. Le reste, c'est comme la couleur des rideaux : on n'a pas la place pour en parler.
L'emploi du "et" et de la virgule, là aussi, n'a pas beaucoup d'importance, et ne peut pas servir à résumer une lecture, à qualifier un moment passé avec un livre. Les défauts de forme restent très secondaires, car ils sont extrêmement, infiniment faciles à corriger. La preuve, même l'éditeur en est capable (mais il ne le fait pas toujours) ! Au pire, la lecture s'accommode très bien des virgules mal placées. C'est comme quand on regarde un film québécois. Au début on patauge, mais après on s'y fait.