Oliv a écrit :Pour n'évoquer que mon cas personnel, il se trouve que, justement, ces derniers temps j'ai envoyé pas mal d'exemplaires de mon dernier roman à des éditeurs divers et variés... Mais, contrairement à ce qui se passait dans ma prime jeunesse, je n'ai pas fait cela pour "être publié" - cela fait déjà quelque temps que ce rêve m'est passé - mais tout bonnement pour recevoir les lettres de refus, que je prends dorénavant plaisir à collectionner, comme d'autres collectionnent les cartes postales ou les bagues de cigare.
Voilà ce qu'est la négatoscriptophilie, une collection réservée à tous ceux qui, comme moi, s'amusent à comparer les différentes manières de dire "Non, on ne veut pas de votre merde" propres à chaque éditeur... Ou plutôt les manières quasi identiques de le dire, vu que la plupart de ces lettres de refus semblent avoir été écrites par le même individu - peut-être un prestataire de services délocalisé au Bangladesh pour économiser sur les frais de personnel.
En ce qui me concerne, cette collection n'en est devenue une que récemment, alors que mon premier refus date du tout début du siècle. Depuis, j'en ai accumulé d'autres, en privilégiant les "grands" éditeurs puisque les "petits" ont tendance à ne répondre que par mail, une hérésie pour tous les négatoscriptophiles, lesquels ne prennent en compte que les lettres reçues par la poste. Quand la réponse par mail arrive après un envoi de manuscrit par mail, pas de souci, en revanche la pilule est plus dure à avaler quand on a dépensé du papier, de l'encre, une reliure, une enveloppe et des timbres pour, au final, ne même pas avoir le plaisir d'archiver une nouvelle lettre commençant par ces mots magiques qui font vibrer chaque négatoscriptophile:
Nous avons lu avec intérêt votre manuscrit intitulé *titre du roman*. En dépit des qualités de votre texte, celui-ci reste trop éloigné de la ligne éditoriale que nous souhaitons développer. Nous avons le regret de vous annoncer que les éditions *nom de l'éditeur* n'en assureront pas la publication...
Ou bien...
Nous avons bien reçu votre manuscrit et vous remercions d'avoir pensé à *nom de l'éditeur*. Malheureusement, votre texte, en dépit de sa qualité, ne correspond pas à la ligne éditoriale actuelle de notre maison; nous sommes donc au regret de ne pouvoir en envisager la publication...
Ou encore...
Nous avons eu bonne réception de votre roman intitulé *titre du roman* et vous remercions de l'attention que vous avez portée à notre maison d'édition. Cependant, ce manuscrit ne correspond pas à notre ligne éditoriale, même si nous avons pris beaucoup de plaisir à vous lire. Aussi regrettons-nous de ne pouvoir vous répondre favorablement...
Vous noterez la récurrence presque obscène des "regrets" et les "en dépit de la qualité" ou "nous avons pris beaucoup de plaisir" chargés de caresser le malheureux auteur dans le sens du poil, tout en lui donnant l'illusion que son texte a été lu avec attention(*).
A noter, si vous souhaitez comme moi vous lancer dans l'aventure passionnante de la négatoscriptophilie, que certaines pièces sont d'ores et déjà collector: on peut bien sûr penser aux lettres issues de maisons d'édition ayant, depuis, mis la clef sous la porte, ou bien à ceux qui, tels le Diable Vauvert, envoyaient jadis des lettres et se contentent maintenant de mails, pour un contenu strictement identique.
Histoire de convaincre définitivement ceux qui estimeraient qu'il est stupide de jouer le jeu de l'édition sans avoir l'espoir d'être finalement publié, la négatoscriptophilie comporte une bonus inattendu: à l'instar de Jean-Claude Dusse, on ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher...
(*)Pour le coup je suis un peu médisant, car je sais que ce fut le cas pour au moins un de ces éditeurs, dont je tairai le nom par charité pour les autres.