A l'époque j'entretenais une correspondance avec deux anciennes copines de lycée. Nos lettres étaient de purs délires, des chefs-d'oeuvre de drôlerie qui me font encore marrer quand je les relis aujourd'hui, au point qu'il faudra absolument que je les fasse publier quand je serai un écrivain reconnu, à la manière d'un roman épistolaire. Franchement, ça vaudrait le coup d'oeil. Bref.
Nos délires ne se trouvaient pas que dans nos lettres: les adresses du destinataire et de l'expéditeur étaient elles aussi traditionnellement prétextes à la rigolade. C'est donc en toute innocence qu'en ce jour de 2002 j'indiquais au dos de mon enveloppe: "Expéditeur: Monsieur Oussama Ben Laden, caché dans les montagnes, Afghanistan. Attention: cette enveloppe contient des documents à haute teneur terroriste." Le monde entier vivait alors dans la peur de ces fameuses lettres contenant de la poudre blanche, vous vous souvenez de l'infâme battage médiatique que cela avait suscité? Eh bien la télé avait suffisamment bien fait son boulot pour que mon délire devienne suspect aux yeux de la distributrice du courrier, laquelle s'empressa d'en informer les autorités compétentes.
Ma lettre n'est jamais parvenue à sa destinataire: j'ai été contacté par le tribunal d'Amiens, m'avertissant des suites judiciaires qui allaient être données à cette affaire. Autant dire que je n'en menais pas large, atterré que la justice de mon pays prenne le temps de traiter ce genre de "problèmes" pendant que des assassins, des violeurs, des trafiquants de drogue, des voleurs à la tire ou des hommes politiques courent toujours.
Je ne sais plus combien de mois j'ai passé à attendre fébrilement le verdict. Au bout du compte, la psychose de la poudre terroriste étant quelque peu retombée, mon dossier fut transféré à la gendarmerie la plus proche, et mon procès se résuma à un entretien avec un représentant des forces de l'ordre. Ce fut la seule et unique fois de ma vie où je mis les pieds dans un tel lieu.
Et là, j'eus l'honneur de voir mon "oeuvre" mise sous scellé en tant que pièce à conviction dans cette trouble affaire, tandis que le gendarme me faisait des remontrances autant sur le contenant que sur le contenu – du genre "non mais ça va pas d'écrire des choses pareilles à une demoiselle".
Morceaux choisis, que vous puissiez comprendre de quoi il retourne – et là le rouge de la confusion me monte aux joues en songeant à la ribambelle d'hommes de loi qui se sont penchés sur ce texte pour en déterminer la teneur en terrorisme:
C'est donc près de trois mois après avoir reçu ta dernière oeuvre (ça ne nous rajeunit pas) que je fais l'effort de sortir de mon hibernation estivale pour reprendre la plume (en réalité un stylo vert) et donner un peu de bonheur à vos vies ternes, à vous mes fans, vous qui m'aimez, vous qui seriez prêtes à vendre votre grand-mère à la science pour ne recevoir ne serait-ce qu'un seul poil de mon corps – je sais, c'est pas gagné.
Par quoi commencer? Par un vibrant "God bless America" en hommage à ces pauvres Ricains qui, non contents de se prendre des barbus sur la tronche pendant qu'ils font leurs courses, ont à se taper le fils Bush à la tête de leur foutu pays? Par une pensée philosophique profonde? Par une équation mathématique ardue? Par l'hymne des lofteurs?
Que nenni! Je ne sais pas de quoi je vais parler dans les pages qui suivent, mais je sens que ça vient, oh oui, c'est bon, ahhhhhh...
Seulement, je réponds simultanément à L. (tu te rappelles, L., celle qui est plate comme une limande, aussi bandante qu'une demi-douzaine d'huîtres bas de gamme sur une table de réveillon prolétarien?), laquelle se trouve être la présidente de mon fan-club en attendant l'adhésion de la veuve à Giscard. Ce qui me fait deux lettres à rédiger en même temps...
Et pour la fine bouche, un court extrait qui prouvera à tous ici que j'utilise les mêmes ficelles du comique depuis des années, et que je n'ai pas attendu Eo ou Princesse pour m'y mettre; Oliv présente: la déclaration d'amour bidon sous forme de parodie de chanson.
Je t'offrirai des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas, je creuserai la terre jusqu'après ma mort pour couvrir ton corps d'or et de lumière, je ferai un domaine où l'amour sera roi, où l'amour sera loi, où tu seras reine... Et puis avec un peu de chance on captera le Bigdil', et il y aura des chips et des cacahuètes, tu verras, ça sera sympa...
La gendarmerie a beau m'avoir libéré, après un truc pareil, je crois que je suis fiché chez eux pour de bon.