Oliv les a vus: les Envahisseurs
- Oliv
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Oliv les a vus: les Envahisseurs
L'anecdote que je vais vous narrer est toute récente, aussi me la remémorer me fait-il encore frémir. Je précise que, malgré son caractère surnaturel, elle est rigoureusement authentique.
Il était environ midi. Tenaillé par une faim aisément compréhensible, j'errais dans les rues de Bordeaux à la recherche d'un raccourci vers une boulangerie, un raccourci que jamais je ne trouvai. Comment en suis-je arrivé à me balader dans ce quartier, certes pas très loin de chez moi, mais où je n'étais pas censé mettre les pieds? Mystère. Sans doute un caprice du destin, chargé de me rappeler que, même à proximité de lieux familiers où nous nous sentons en sécurité, la peur rôde...
Il faisait encore beau, quoique le ciel se couvrait, comme un présage de ce qui allait bientôt me tomber sur la tête. Pour l'heure, j'étais encore relativement insouciant, bien que je commençais à comprendre que cette journée serait marquée du signe de l'angoisse: je m'éloignais irrésistiblement de ce que je cherchais, tandis que chacun de mes pas me rapprochait de l'inconnu.
C'est alors que je les vis. Croyez-moi, ou ne me croyez pas: je les ai vus. Les Envahisseurs.
J'ai d'abord levé un sourcil, mi-surpris mi-inquiet, en croisant un petit groupe. Puis un autre. Un autre encore. Mon étonnement se métamorphosait en panique: ce n'était finalement pas plusieurs petits groupes, mais un seul et même ensemble, un magma grisâtre constitué de dizaines et de dizaines d'individus de forme vaguement humaine, mais bien trop différents du passant lambda pour être considérés comme de vrais gens.
Les envahisseurs.
Courageux, je ne me suis pas défilé. Après avoir marqué un court temps d'arrêt - j'espère que vous me pardonnerez cette furtive faiblesse, mais franchement, j'aurais bien voulu vous y voir - j'ai effectué quelques pas en avant, fendant la foule de ces créatures étranges en prenant un air faussement rassuré. Qui étaient-ils? Que faisaient-ils? Que voulaient-ils? Tous progressaient dans la même direction, déferlant dans les rues tels ces vagues successives qui emportent tout sur leur passage. On aurait dit une armée en marche, avec un balai dans le fondement - voire carrément le catalogue complet de chez Vileda - en lieu et place du fusil au poing.
Qui étaient-ils? Que faisaient-ils? Que voulaient-ils? Pourquoi me sentais-je incapable de les comprendre, incapable d'imaginer ne serait-ce que communiquer avec ces personnes, lesquelles étaient pourtant toutes, comme moi, dotées d'une tête, de deux bras et de deux jambes et, pire, vraisemblablement de la même génération que la mienne?
"Je ne sais pas quel âge ils ont, mais dans tous les cas ils font beaucoup plus", songeai-je aussitôt, et, encore lucide malgré la peur qui m'étreignait, je tâchai de me souvenir de cette formule que je comptais ressortir à la première occasion tellement elle me semblait bonne - n'est-ce pas qu'elle est bonne ma formule?
Un éclair me frappa alors: il ne pouvait s'agir que d'une manifestation d'étudiants militant en faveur du MPF de Philippe de Villiers. Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt? Que ce soient ces garçons dont l'inévitable prénom composé était quasiment inscrit sur le visage - dans cette assemblée, il y avait forcément au moins un Jean-Eudes - et ces filles arborant sans le vouloir la particule que nous avions oublié de couper en même temps que la tête de leurs ancêtres en 1789, tous exsudaient la prétendue supériorité des élites autoproclamées de la nation française fière de ses valeurs, morales comme boursières.
Autant dire qu'au milieu de ces costard-cravate, de ces tailleurs stricts, de ces petites malettes en cuir, de ces brushings parfaits et de ces petits doigts dressés, je n'en menais pas large, tremblotant dans ma veste en jean et mes vieilles baskets couvertes de poussière grise récupérée dans des entrepots dont j'ai depuis longtemps oublié le nom.
Je continuai néamoins d'avancer, à contre-courant, fermant les yeux pour ne pas défaillir quand un autre groupe du même genre - ou s'agissait-il du même groupe, réapparu comme par magie sur mon chemin? - se présenta de l'autre côté du passage piéton que je devais traverser coûte que coûte pour espérer sortir de ce cauchemar. Je passai ce nouvel obstacle sans encombres, m'offrant même le luxe de dévisager quelques uns de ces Envahisseurs dans l'espoir que l'un d'entre eux eût ne serait-ce qu'une chance d'être un Mohammed, un Chung, une Aminata ou un Kévin... Peine perdue. Il n'y avait que des Jean-Eudes, bien coiffés, bien rasés, bien habillés, tout bien comme il faut.
A cet instant, que n'aurais-je donné pour un rasta! Mon dieu, par pitié, envoyez-moi Place de Clichy!
Mon front ruisselait de sueur. Mon coeur battait à tout rompre. Le deuxième groupe derrière moi, je n'entendais plus que l'écho de leurs talons hauts et de leurs conversations portant sans doute sur tel ou tel fait d'actualité dont ils avaient appris par coeur, sans les comprendre bien sûr, tous les tenants et aboutissants de façon à pouvoir briller en société. Je poussai un profond soupir de soulagement. J'étais sauvé. Les envahisseurs ne m'avaient prêté aucune attention.
C'est alors que je débouchai sur le Cours d'Albret. Ceux qui connaissent un peu la ville de Bordeaux savent ce que cela signifie... Tout s'éclaira d'un coup, le mystère des Envahisseurs était levé: j'avais tout simplement pénétré, à mon corps défendant, dans "le ghetto à juristes" comme on appelle familièrement ce coin, et j'étais passé à côté de l'Ecole Nationale de la Magistrature… Là où sont élevés, comme autant de chiens de combat issus des pires croisements contre-nature, les membres de la fraction la plus hardcore des étudiants en droit.
Il n'empêche, je ne recommande à personne cette expérience traumatisante qui mérite pleinement, je pense, sa place dans la rubrique des pires moments de ma vie.
Il était environ midi. Tenaillé par une faim aisément compréhensible, j'errais dans les rues de Bordeaux à la recherche d'un raccourci vers une boulangerie, un raccourci que jamais je ne trouvai. Comment en suis-je arrivé à me balader dans ce quartier, certes pas très loin de chez moi, mais où je n'étais pas censé mettre les pieds? Mystère. Sans doute un caprice du destin, chargé de me rappeler que, même à proximité de lieux familiers où nous nous sentons en sécurité, la peur rôde...
Il faisait encore beau, quoique le ciel se couvrait, comme un présage de ce qui allait bientôt me tomber sur la tête. Pour l'heure, j'étais encore relativement insouciant, bien que je commençais à comprendre que cette journée serait marquée du signe de l'angoisse: je m'éloignais irrésistiblement de ce que je cherchais, tandis que chacun de mes pas me rapprochait de l'inconnu.
C'est alors que je les vis. Croyez-moi, ou ne me croyez pas: je les ai vus. Les Envahisseurs.
J'ai d'abord levé un sourcil, mi-surpris mi-inquiet, en croisant un petit groupe. Puis un autre. Un autre encore. Mon étonnement se métamorphosait en panique: ce n'était finalement pas plusieurs petits groupes, mais un seul et même ensemble, un magma grisâtre constitué de dizaines et de dizaines d'individus de forme vaguement humaine, mais bien trop différents du passant lambda pour être considérés comme de vrais gens.
Les envahisseurs.
Courageux, je ne me suis pas défilé. Après avoir marqué un court temps d'arrêt - j'espère que vous me pardonnerez cette furtive faiblesse, mais franchement, j'aurais bien voulu vous y voir - j'ai effectué quelques pas en avant, fendant la foule de ces créatures étranges en prenant un air faussement rassuré. Qui étaient-ils? Que faisaient-ils? Que voulaient-ils? Tous progressaient dans la même direction, déferlant dans les rues tels ces vagues successives qui emportent tout sur leur passage. On aurait dit une armée en marche, avec un balai dans le fondement - voire carrément le catalogue complet de chez Vileda - en lieu et place du fusil au poing.
Qui étaient-ils? Que faisaient-ils? Que voulaient-ils? Pourquoi me sentais-je incapable de les comprendre, incapable d'imaginer ne serait-ce que communiquer avec ces personnes, lesquelles étaient pourtant toutes, comme moi, dotées d'une tête, de deux bras et de deux jambes et, pire, vraisemblablement de la même génération que la mienne?
"Je ne sais pas quel âge ils ont, mais dans tous les cas ils font beaucoup plus", songeai-je aussitôt, et, encore lucide malgré la peur qui m'étreignait, je tâchai de me souvenir de cette formule que je comptais ressortir à la première occasion tellement elle me semblait bonne - n'est-ce pas qu'elle est bonne ma formule?
Un éclair me frappa alors: il ne pouvait s'agir que d'une manifestation d'étudiants militant en faveur du MPF de Philippe de Villiers. Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt? Que ce soient ces garçons dont l'inévitable prénom composé était quasiment inscrit sur le visage - dans cette assemblée, il y avait forcément au moins un Jean-Eudes - et ces filles arborant sans le vouloir la particule que nous avions oublié de couper en même temps que la tête de leurs ancêtres en 1789, tous exsudaient la prétendue supériorité des élites autoproclamées de la nation française fière de ses valeurs, morales comme boursières.
Autant dire qu'au milieu de ces costard-cravate, de ces tailleurs stricts, de ces petites malettes en cuir, de ces brushings parfaits et de ces petits doigts dressés, je n'en menais pas large, tremblotant dans ma veste en jean et mes vieilles baskets couvertes de poussière grise récupérée dans des entrepots dont j'ai depuis longtemps oublié le nom.
Je continuai néamoins d'avancer, à contre-courant, fermant les yeux pour ne pas défaillir quand un autre groupe du même genre - ou s'agissait-il du même groupe, réapparu comme par magie sur mon chemin? - se présenta de l'autre côté du passage piéton que je devais traverser coûte que coûte pour espérer sortir de ce cauchemar. Je passai ce nouvel obstacle sans encombres, m'offrant même le luxe de dévisager quelques uns de ces Envahisseurs dans l'espoir que l'un d'entre eux eût ne serait-ce qu'une chance d'être un Mohammed, un Chung, une Aminata ou un Kévin... Peine perdue. Il n'y avait que des Jean-Eudes, bien coiffés, bien rasés, bien habillés, tout bien comme il faut.
A cet instant, que n'aurais-je donné pour un rasta! Mon dieu, par pitié, envoyez-moi Place de Clichy!
Mon front ruisselait de sueur. Mon coeur battait à tout rompre. Le deuxième groupe derrière moi, je n'entendais plus que l'écho de leurs talons hauts et de leurs conversations portant sans doute sur tel ou tel fait d'actualité dont ils avaient appris par coeur, sans les comprendre bien sûr, tous les tenants et aboutissants de façon à pouvoir briller en société. Je poussai un profond soupir de soulagement. J'étais sauvé. Les envahisseurs ne m'avaient prêté aucune attention.
C'est alors que je débouchai sur le Cours d'Albret. Ceux qui connaissent un peu la ville de Bordeaux savent ce que cela signifie... Tout s'éclaira d'un coup, le mystère des Envahisseurs était levé: j'avais tout simplement pénétré, à mon corps défendant, dans "le ghetto à juristes" comme on appelle familièrement ce coin, et j'étais passé à côté de l'Ecole Nationale de la Magistrature… Là où sont élevés, comme autant de chiens de combat issus des pires croisements contre-nature, les membres de la fraction la plus hardcore des étudiants en droit.
Il n'empêche, je ne recommande à personne cette expérience traumatisante qui mérite pleinement, je pense, sa place dans la rubrique des pires moments de ma vie.
À l'Affreux Oliv (Mars 2005-Février 2010), la Patrie pas reconnaissante.
Si vous me cherchez, je ne suis plus ici.
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- Chiroptere
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Goupil a écrit :Bordeaux déjà c'est effrayant...
Et puis quoi encore !


Non, mais franchement Oliv, où est-ce que tu vas trouver des idées pareilles...

N'empêche que moi, ces gugus, je les croise tous les jours dans mon école (non, pas cette année en Angleterre, l'an dernier et l'an prochain et les années qui suivront à Bordeaux...) et je suis forcée affronter leur regard méprisant au quotidien...

Heureusement qu'ils ne sont pas majoritaires...


Mon chéri, tu aurais dû t'en rendre compte plus vite, tu as fréquenté des juristes, dont moi, même si je ne suis pas forcément représentative de l'espèce - quoique, parfois, à ma manière...
Je me rappelle la première fois qu'on est passés dans ce quartier, que nous avons surnommé, comme vous l'avez compris, le "ghetto à juristes". C'était pour visiter un appartement, dans un vieil immeuble à porte verte, plein de cabinets d'avocats, au troisième étage (et demi) sans ascenseur : un taudis. Je n'ai pas de mot plus fort qui me vienne à l'esprit.
Le contraste était saisissant.
Et l'immeuble entouré de l'ENM du palais de justice, etc. Terrifiant.
Rien que par cette situation géographique, j'ai mis un véto. Alors encore moins de regret quand on a vu l'état du clapier.
Je me rappelle la première fois qu'on est passés dans ce quartier, que nous avons surnommé, comme vous l'avez compris, le "ghetto à juristes". C'était pour visiter un appartement, dans un vieil immeuble à porte verte, plein de cabinets d'avocats, au troisième étage (et demi) sans ascenseur : un taudis. Je n'ai pas de mot plus fort qui me vienne à l'esprit.
Le contraste était saisissant.
Et l'immeuble entouré de l'ENM du palais de justice, etc. Terrifiant.
Rien que par cette situation géographique, j'ai mis un véto. Alors encore moins de regret quand on a vu l'état du clapier.
- eLiz
- ordre de l'automne
- Messages : 195
- Inscription : 04 Mai 2005, 14:25
- Localisation : Je vais et je viens !
- Contact :
Ah, les joies de Bordeaux...
Juste un petit complément vidéo, pour ceux qui ne connaîtraient pas :
http://www.dailymotion.com/video/x1tl2l_manif-de-droite

Juste un petit complément vidéo, pour ceux qui ne connaîtraient pas :
http://www.dailymotion.com/video/x1tl2l_manif-de-droite
"When she wants something done, she does it straight away. She is very aggressive and totally disrespectful, but can be a good friend."
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