Rudiment a écrit :Cependant, j'ai de sérieux doutes sur la solidité de ses membres à assumer leurs dettes colossales et la capacité de leurs peuples à supporter les transformations au quotidien qu'exigera tout désir de les rembourser (enfin, d'essayer). Les mentalités dans les rapports de chacun à l'argent sont très différentes selon les peuples. Un Francais ne pense pas comme un Bulgare; un Espagnol n'acceptera pas les mêmes sacrifices qu'un Lettonien.
Et je dirais même qu'un Allemand (comme n'importe quelle personne, hormis les sado-masochistes) ne supporterait pas la moitié des sacrifices imposés aux Grecs. Mais pour répondre à tes doutes, de toute manière, ils n'auront pas le choix. D'après toi, les Grecs et les Portugais appliquent-il leur programme de rigueur de gaité de cœur? Ils sont contraints, aujourd'hui par les marchés, demain par un comité de contrôle fédéral des budgets nationaux.
Certes, il y a des différences de sensibilités entre les peuples que l'on peut caricaturer ainsi:
*l'Europe du Nord (Scandinavie, Pays Bas, Allemagne) regroupe des pays adeptes de la bonne tenue des comptes et réticents aux déficits publics. Son économie est basée sur l'exportation
*l'Europe du Sud (Espagne, Portugal, France, Italie, Grèce) use et abuse des déficits pour maintenir à flot un système social souvent exsangue. Son économie est basée sur la consommation des ménages. La rigueur étrangle les ménages, ce qui empêche toute reprise économique
*l'Europe anglo-saxonne (Royaume Uni, Irlande) a tout misé sur les marchés financiers, et s'en mord les doigts aujourd'hui
*l'Europe de l'Est est en pleine phase de rattrapage et s'en sort comme elle peut
*l'Europe balkanique au sens large (incluant la Roumanie et la Bulgarie) est gangrénée par la corruption endémique.
Tous n'ont donc pas les mêmes attentes et ne préconisent pas les mêmes solutions pour sortir de la crise. Une dette, aussi colossale soit-elle, n'est pas dramatique en soit tant que nous avons les moyens de la rembourser. Prenez l'exemple des USA qui ont une dette astronomique qui ne dérange personne. 4 options existent:
1) l’État a assez d'argent pour la rembourser, ce qui n'est le cas d'aucun pays européens, mais ce qui est le cas de la Chine et des autres états BRICS.
2) la croissance est suffisante pour absorber la dette. Autrement dit, la génération de richesses supplémentaires du pays permettra de régler la dette et ses intérêts. Problème: comme indiqué plus haut, certains pays ont une économie basée sur la consommation, donc le marché intérieur. Dans leur cas, la rigueur est contre-productive pour effacer la dette.
3) laisser enfler l'inflation, ce qui a pour effet de réduire le coût de la dette: imaginons que j'emprunte à mon frère 20 euros pour m'acheter un bouquin alors que je gagne 5 euros par mois. Quelques années plus tard, les prix ont augmenté et mais aussi mes revenus (si les revenus sont effectivement ajustés en fonction de l'inflation). Lorsque je rembourserai mes 20 euros et que je toucherai 50 euros par mois, cette somme sera dérisoire. Problème: si l'inflation augmente de trop, les prix des produits augmentent et sont moins compétitifs. Il faut également que les salaires augmentent avec l'inflation, ce qui n'est pas possible si l'inflation est trop grande. C'est la hantise de l'Allemagne.
4) Je dévalue la monnaie. L'effet est similaire au cas précédent: mes dettes sont divisées d'autant. Problèmes: 1) la valeur de l'argent mis en banque par les particuliers diminue d'autant et donc, leur pouvoir d'achat ; 2) ceci est technique infaisable pour un état appartenant à la zone euro. L'Euro ne sera pas dévalué juste pour cet état.
Option facultative pour régler le problème de la dette: ne pas la rembourser. Cela entraîne un raz de marée d'inconvénients, mais c'est ce qui arrivera à la Grèce qui n'est pas confrontée à une crise de manque de liquidités, comme le Portugal, mais d'insolvabilité. Les richesses qu'elle produit ne lui permettront jamais de rembourser sa dette. D'où l'organisation d'un défaut partiel de paiement: supprimer une partie de la dette (après avoir évoqué 25% en juillet, on en serait à 40, voire 50%).
Les solutions existent mais l'appartenance à une zone monétaire commune d'états économiquement si différents pose de gros problèmes. Contrairement à ce que tu penses, Rudi, je pense que les états, contraints par les marchés et leurs partenaires européens, pourront venir à bout de ces dettes. Cela prendra du temps, je pense environ 10 ans pour assainir véritablement l'économie. Cela se fera par des politiques d'austérité ou de rigueur, puisque l'Allemagne impose sa méthode. La nuance est dans la puissance de l'action.
L'austérité est acceptable par le peuple pour peu qu'il soit persuadé de sa nécessité. La France y passera. Dans la majorité des états, il y aura donc des grognements, mais rien de dramatique qui pourrait mener à des bouleversements.
Les politiques de rigueur, par contre, risquent d'enflammer sérieusement les esprits si elle dure sans montrer d'effet. L’Irlande à l'air de s'en sortir progressivement. Mais le Portugal et la Grèce, ce n'est pas gagné. En gros, la rigueur revient à devoir survivre dans un monde où tout est beaucoup plus cher avec beaucoup moins d'argent. Pourtant, je ne crois pas que les peuples seront poussés à la révolution. Je ne suis même pas persuadé que la xénophobie augmentera significativement dans ces pays: il n'y a pas de travail, donc pas d'immigrés, ou juste de passage. Au contraire, ce sont ces peuples, Grecs et Portugais en tête, qui émigreront vers l'Europe du Nord comme ils l'ont fait par le passé (et ça a déjà commencé). Ce qui ne sera pas le cas dans le reste de l'Europe...
Est-ce une menace pour l'UE?
Précisons une chose: il y a certes une crise politique grave en Europe, mais la crise économique reste modérée voire inexistante dans la plupart des pays de l'UE. Si l'Irlande s'en remet, comme cela semble être le cas, et que le cœur de la crise reste cantonné à la Grèce et au Portugal, l'Europe devrait s'en remettre. Par contre, si l'Italie (3ème économie de la zone euro) s'écroule... l'avenir deviendra très incertain. L'implosion de l'euro ne serait plus une peur intangible.
Or ce n'est nullement une fatalité. Personne (sauf quelques traders sans pouvoir réel à l'échelle mondiale) ne joue contre l'Europe. Tu parles de la Russie, de la Chine et du secteur privé. Ce sont les derniers à avoir intérêt à ce que l'Europe s'effondre (car si l'UE s'effondre, c'est que ses principaux pays se seront écroulés économiquement). Imaginez: le 1er marché mondial incapable d'acheter les produits chinois ou le gaz russe! La crise ne serait plus régionale, elle deviendrait mondiale, et ça, les USA et les BRICS veulent à tout prix l'éviter. Idem pour l'Euro. La Chine en particulier, a trop de réserves pour voir la monnaie unique disparaître. Même le Royaume Uni demande que l'Euro survive car son économie en dépend. Non, aucun état, aucune organisation internationale ne veut la fin de l'Europe et de l'Euro, au contraire.
C'est pour cette raison que malgré les désaccords et les différences, les états feront tout pour retourner la situation. La nécessité fait loi. Cet adage est on ne peut plus vrai. Pour ma part, je demeure d'un optimisme réaliste: la crise de la dette en Europe sera surmontée dans la prochaine décennie avec une stabilisation des marchés par rapport à l'Euro dans les 2-3 ans. Le Portugal et la Grèce resteront durablement plombés, ce qui, idéalement, nécessiteraient la création d'une union de transfert (autrement dit, que les états les plus riches financent les plus pauvres, comme l'état français soutient financièrement le Limousin). L'Euro survivra et l'Europe sera de facto fédérale. D'un point de vue cynique, la crise aura été un magnifique catalyseur de l'intégration européenne.
A moins que les populismes l'emportent... mais je me refuse à l'envisager.