Voici l'article que j'avais prévu de poster ici avant d'être devancé par Krystal sur le sujet
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Evidemment, il n'apporte pas grand chose puisque tout a été dit ou presque, surtout par DiL qui a fait le tour de la question, mais bon le voilà quand même :
La maturité de l’auteur.
Dans la série « tonton Beorn vous parle des auteurs et de leur production », voici un nouvel épisode : les auteurs jeunes.
Je n’ai pas dit « jeunes auteurs », pour ça, il y a déjà une FAQ, non : je veux parler des « auteurs jeunes », ceux qui n’ont pas vu beaucoup de printemps, quel que soit leur passé en écriture.
Voyez, moi j’ai 29 ans, et j’écris depuis l’âge de 6 ans (c’est à 6 ans qu’on apprend à écrire…) alors de temps en temps, je me penche sur les différentes strates géologiques de mes chefs-d’œuvre, et vous savez ce qui se passe ? Je rigole.
Prenons un petit texte que j’ai écrit il y a seulement trois ans et que j’ai relu cent fois (et ce n’est pas une façon de parler), quand je le lis aujourd’hui, je vois les erreurs comme si elles étaient marquées au fluo. Je vois ce qui est bon, ce qui est mauvais et ce qui serait mieux : c’est comme si tout à coup, j’étais omniscient !
Voyez, Dieu descendant parmi les hommes et disant : ben voilà, c’est comme ça qu’il faut faire, bande de bras cassés, sinon votre monde va partir à vau l’eau.
Et plus je m’enfonce dans mon passé, plus je rigole (et je pleure aussi, parfois). Je me revois en train d’aligner mes poncifs, plus jeune, et je m’engueule tout seul : abruti ! Tu ne vois donc pas que c’est nul ?
Eh bien, c’est un fait : non. Quand j’y étais, je ne le voyais pas, j’adorais mes darlings, je faisais des personnages creux et qui puaient le carton pâte, et je ne voyais rien de tout cela : pour moi, c’était beau, c’était brillant.
Attention, je ne dis pas que je n’avais pas de talent (et le premier qui le dit, je le massacre) : seulement, j’étais en phase de maturation.
Pourquoi j’ai progressé, parce que j’ai soufflé des tas de bougies sur des tas de gâteaux ? Peut-être. Parce que j’ai lu et écrit, tout ce temps, et écouté mes lecteurs ? Sûrement aussi. En tout cas, j’ai progressé.
Alors vous qui êtes jeunes, quand on vous dit : tu as du talent mais tu as encore beaucoup à apprendre, ce n’est pas juste pour vous vexer, ne vous mettez pas en rogne.
Dans quelques années, vous rigolerez comme moi.
A ceux qui pensent être publiés à 15 ans, je dis : même Superman était nul à cet âge là.
Il y a des génies, me direz-vous. Oui, bon, ça existe peut-être, mais ne comptez pas trop là-dessus : le génie, c'est un peu comme les miracles, c'est bien rare et ça ne tombe jamais sur vous.
C’est un peu comme un gâteau pas cuit, voyez (encore une métaphore culinaire, désolé) : sortez-le du four avant l’heure, et dans les estomacs ça va être Verdun, 1916. Est-ce que vous êtes mauvais cuisinier pour autant ? Certainement pas, seulement, il faut le temps que ça cuise. Ne ruinez pas votre réputation avec des gâteaux pas cuits !
Je vous entends déjà me dire : nous avons parmi nous un auteur de 20 ans.
Moui, il y en a un, tant mieux pour lui, il est doué. Mais c’est presque dommage, je suis sûr que dans quelques années, il sera encore meilleur : il trouvera que son texte aurait pu être encore meilleur lui aussi et peut-être même qu’il regrettera de ne pas avoir attendu un peu.
Quand on dit à un auteur que son texte est encore trop naïf ou immature, il le prend pour sa pomme : le roman ou lui-même, il ne fait pas la différence. Eh bien, il a raison : il y a un âge pour tout, ce n’est pas une insulte que de le dire.
Qu’on n’ait pas la même vision du monde à 16 ou 30 ans, c’est une évidence, et ça vaut mieux pour tout le monde : vous avez 16 ans ? Bon sang, vous en avez de la chance : profitez-en, faites votre goût, forgez vos idées, découvrez, reniflez, bricolez, écrivez et faites lire, il y a des tas de bonnes choses en vous qui vont pousser comme des légumes au potager, mais de grâce, si on vous dit que vous n’êtes pas prêt, n’envoyez pas vos manuscrits aux éditeurs !
Et ne vous lamentez pas, soyez heureux au contraire et continuez de travailler votre style : vous allez bientôt être nettement meilleurs, c’est pas une bonne nouvelle, ça ? Parce que si vous croyez que vos 16 ans vont durer toute une éternité, vous vous fourrez le doigt dans l’œil.
Alors, à quel âge faut-il se décider ? Certains sont prêts très tôt, d’autres moins. Moi je ne peux pas le dire : ça, c’est à vos beta de vous le dire. Pas juste
un beta, qui peut toujours se tromper, mais plusieurs (et si possible, au moins un qui soit plus âgé que vous).
Les beta, c’est comme les dentistes : ils vous font mal, ces vachards, mais c’est pour votre bien. Est-ce que vous avez déjà mis votre poing dans la gueule de votre dentiste ? Allez, vous en avez rêvé, avouez-le. Et pourtant, à la fin, vous lui faites un chèque ! Alors que le beta, rien : des prunes… Alors soyez gentils : faites un chèque à votre beta, et si vous êtes fauché, faites-lui toujours un bisou.
Ah, et le premier qui me parle de Rimbaud je lui réponds : Rimbaud écoutait les vieux tontons, lui aussi…