Messagepar kbferrand » 01 Avr 2010, 22:46
salut à tous, je livre à la vindicte le chapitre V des fils d'Arghun
Échauffourée à la cantine
Comme toujours à l’heure du déjeuner, la cantine de l’académie était comble. Des dizaines de bouches affamées s’étaient mises à la tâche afin de redonner à leurs propriétaires les forces nécessaires au bon déroulement de la journée. À une des tables, un groupe d’élève avait une conversation houleuse.
Enak était bien trop occupé à déguster le quignon de pain qu’il tenait comme un trésor pour porter la moindre attention à la discussion. Rhul ne put s’empêcher de sourire en voyant son ami absorbé de la sorte. La manière avec laquelle il détachait et savourait la moindre des miettes eut donné à croire, à qui ne connaissait rien de la nourriture de l’académie, que ses élèves étaient parmi les jeunes les plus mal nourris de l’empire, voir même du continent.
Ce n’était pas le choix du sujet de conversation qui était la cause du désintéressement d’Enak mais bel et bien sa gourmandise et son appétit sans faille. En un autre instant, il se serait certainement senti outragé des propos de Tamarus et se serait empressé de se jeter à corps perdu dans le débat, mais, à la sacro-sainte heure du déjeuner, il n’avait cure des petites chamailleries de ses camarades.
- Peux tu répéter ce que tu viens de dire ? demanda Khérus d’un ton emprunt de défit, tout en laissant retomber dans son écuelle sa cuillère encore pleine.
- Bien entendu, lui répondit Tamarus d’un air narquois. Je disais qu’il ne faisait aucun doute que Rhul et moi-même vous avons mis à tous deux une belle raclée ce matin. Si tu vois quelque chose à y redire, c’est que cela ne t’a visiblement pas servi de leçon. Auquel cas, je suis prêt à reprendre la correction là ou nous l’avons laissé avant que le capitaine n’abrège tes souffrances.
Khérus prit son air le plus offusqué tandis qu’Enak n’avait toujours pas décollé les yeux de son morceau de pain et s’apprêtait à enfourner une belle ration dans sa bouche grande ouverte.
- Parlons-en, justement ! Répliqua Khérus, Massid n’a fait que vous épargner de la botte secrète que je m’apprêtais à lancer.
Rhul et Tamarus se regardèrent circonspect et eurent chacun un sourire en coin.
- Entends-tu par « botte secrète » cette contorsion ridicule consistant à te trémousser comme un ver ? Demanda Tamarus.
Les garçons discutaient de l’entraînement du matin, dispensé par le capitaine Massid. Ils s’étaient s’affronter deux contre deux avec chacun un pied attaché à son partenaire, l’un, tenant un bouclier et l’autre le fut nu d’une lance. Tamarus s’était retrouvé lié à Rhul et Khérus à Enak. Tamarus n’exagérait qu’à moitié, lui et Rhul avaient bel et bien dominé le combat et donné du fil à retordre à leurs camarades. Khérus ne l’aurait admis pour rien au monde, même s’il savait au fond de lui qu’ils n’étaient pas du niveau de ses deux amis. Khérus et Enak étaient loin d’être mauvais, ils maniaient tous deux habilement les armes et faisaient preuve d'une grande vivacité, mais en comparaison du duo Rhul -Tamarus, cela était loin d’être suffisant. Ces deux derniers possédaient en effet un véritable don, Rhul détenait l’agilité et la rapidité tandis que Tamarus possédait une force impressionnante et une ténacité sans égal. Face à eux, peu ou prou d’élèves étaient capable de rivaliser, et ceux qui l’étaient en ressentaient une profonde jalousie. Cette convoitise s’exprimait surtout envers Rhul. En plus du mépris d’une partie des élèves, engendré par ses origines plébéiennes, ses capacités forçant le respect et la sympathie de la plupart des instructeurs, augmentaient d’autant les rancœurs à son égard.
Rhul s’esclaffa de la répartie de son ami. Il s’amusait toujours de voir Khérus et Tamarus se chamailler comme des chiffonniers. Les joutes oratoires en découlant, bien que peu éloquentes, étaient souvent représentatives de leur mauvaise fois. En cela, leur ressemblance était énorme, ce qui n’était pas le cas en ce qui concernait leur physique. Si Khérus était assez grand pour son âge et plutôt élancé, Tamarus était l’antinomie de cette description. Bien qu’étant un brin plus âgé que Khérus, il ne devait guère dépasser l’épaule de ce dernier. Cependant en concernant le poids et la corpulence, Tamarus arrivait bon premier.
- Tu peux te moquer, lança Khérus d’un ton faussement menaçant, mais tu regretteras tes paroles. Même si nous sommes amis, il te faudra me supplier de ne pas te mettre une déculottée dont tu te souviendras toute ta vie.
Les mots de Khérus, s’ils n’eurent pas pour effet de faire trembler de peur le bedonnant Tamarus, permirent néanmoins de sortir Enak de sa torpeur. Celui-ci éclata tellement de rire face au culot de Khérus qu’il en envoya le contenu de sa bouche - une bonne boulette de mie bien molle et imbibée de salive– faire un vol plané de plusieurs mètres. Il s’en fallut de peu que Tamarus ne la reçoive en pleine face, ce qui soit dit en passant eut été nettement préférable à ce qui se produisit ensuite, car tout le monde n’eut pas la chance d’éviter l’effroyable projectile. La malchance voulut que le morceau de mie mâchouillé pendant près d’une minute vienne s’écraser sur l’arrière du crâne de la dernière personne à qui il eut été souhaitable que pareil incident n’arrive. Bien qu’elle fût sans doute la plus méritante de la flopée d’élèves se trouvant dans la cantine : Amarik Lesdag.
Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis l’incorporation de Rhul et Khérus à la haute académie militaire d’Arthamun. L’été était repartit, cédant la place à l’automne puis l’hiver était venu, inexorable. Les deux garçons avaient peu à peu appris à assumer le rythme pénible de leur enseignement. Leurs liens s’étaient peu à peu resserrés pour se muer en une franche et fraternelle amitié.
Avec le temps, ils s’étaient fait d’autres amis, parmi ceux-ci Enak et Tamarus, leur camarades de chambrée, étaient ceux avec lesquels ils s’entendaient le mieux. Dans l’ensemble ils avaient su se faire accepter, compte tenu de leurs origines non nobiliaires ou de bonnes familles cela aurait pu s’avérer plus compliqué. Cependant, il restait quelques garçons peu enchantés par la cohabitation avec des fils de roturier. Parmi ceux-là, un académicien s’était montré plus enragé que les autres et plus prompt à cracher son venin.
Amarik Lesdag était le fils d’un haut fonctionnaire récemment anobli. Il était de taille moyenne et de carrure athlétique, ses traits aiguisés trahissaient une nature dure et aigrie, comme le reflet d’une colère permanente et insatiable. Ses cheveux étaient blonds, parsemés de quelques reflets roux. Ses yeux étaient d’un bleu clair rehaussés de sourcils épais et d’un front anguleux. Sur son nez saillant cohabitaient une multitude de taches de rousseur.
Lorsque le projectile culinaire s’écrasa dans le dos d’Amarik, le chahut inondant la cantine s’arrêta net, comme si le temps avait ralenti pour que tous aient le privilège, sans pouvoir en modifier l’inévitable destin, d’assister à l’accident. Ce fait contribua certainement à transformer un banal incident en véritable déclaration de guerre.
Amarik se leva derechef de sa table et se retourna, le front empourpré de colère. Il parcourut les tables voisines d’un œil vengeur. Il ne lui fallut pas plus d’une seconde pour découvrir l’auteur de l’attentat boulanger. Enak aurait d'ailleurs eu grand peine à le dissimuler, outre le fait qu’il riait encore de la réplique de Khérus, son menton était encore couvert de miette. Se rendant tout d’un coup compte de la situation, il tenta de se contenir, mais la tournure des choses, bien qu’annonciatrice d’événement fâcheux, lui donna envie de se gausser d’avantages.
- C’est toi qui as fait ça, le castré ? Demanda Amarik d'un ton plein de colère.
Cette insulte, au lieu de calmer Enak, déclencha en lui un incontrôlable fou rire. Comme de bien entendu, cela ne produisit pas le même résultat chez Amarik qui entra dans une fureur noire.
- Ça te fait rire, continue et je te ferais bouffer ta merde !
Enak cessa de rire.
- Non merci, répondit-il sans se démonter, je n’aime pas trop la cuisine de ta mère.
- De ma mère !
Apparemment le garçon bien élevé qu’était Amarik Lesdag, n’apprécia pas qu’on lui renvoie son coup de la sorte. Il enjamba le banc de bois sur lequel il était assis en manquant se ficher par terre et se jeta sur Enak à bras raccourci.
Enak n’eut pas le temps de réagir, son agresseur le saisit aussitôt par le cou. Il sentit la fermeté de la prise se resserrer sur sa gorge et entraver son souffle, la moiteur de ses paumes coller sur sa peau.
Son visage virait au bleu lorsque la pression s’arrêta brusquement. Il ouvrit doucement les yeux et vit Amarik se tenir la tête en grimaçant.
Enak recouvra son souffle. Il, entrevit, derrière son agresseur, Rhul qui tenait une écuelle brisée à la main. Il bénit intérieurement son ami, mais ne put s’empêcher de considérer l’irréversibilité de ce geste. Tous connaissaient le caractère abject d’Amarik. Ce qui suivrait cette affaire-là ne serait bon pour personne.
Alors que le silence avait cédé la place à la confusion, aux cris et à provocations engendrées par la quasi-totalité du réfectoire, l’intervention d’un garde vint mettre un terme à l’anarchie croissante. Chacun regagna sa place au plus vite. Même Amarik, qui se massait toujours l’arrière du crâne se pressa de suivre le mouvement. Le garde s'avança de quelques pas dans la salle et jeta un coup d'oeil circulaire à l'assistance, c'était un jeune freluquet tout juste auréolé de sa première année de service actif. Il ne sembla pas remarquer les tessons qui jonchaient le sol. Il se contenta d’exiger le silence en braillant d’une voix de fausset, puis sans attendre de s’assurer qu’on lui obéissait, tourna les talons et retourna à son poste.
Cette intervention peu zélée suffit toutefois à apaiser la situation, du moins en apparence. Le calme revint dans la cantine même si tous les regards étaient tournés vers les protagonistes de l'incident. Tous purent ainsi voir le regard haineux d’Amarik à l’intention de Rhul ainsi qu’entendre sa promesse vengeresse proférée à peu près en ces termes:
- Toi le cul-terreux, tu me le paieras !
Rhul ne prit pas la peine de relever, et se tourna vers ses amis.
- Merci, lui dit Enak d'une voix rauque tout en massant son cou encore douloureux. Mais je ne sais pas si tu as bien fait d’intervenir, cela risque d’être pire à présent.
- Je ne pouvais quand même pas le laisser t’étrangler sans rien faire.
- Tu as eu raison trancha Tamarus, mais Enak n’as pas tort non plus, il va falloir être prudent.
Les quatre amis finirent leur repas dans le silence et se rendirent dans la classe du commandant Radzir ou ils suivirent l’un des plus ennuyeux cours de stratégie auxquel il ait été possible d’assister. Lorsqu’ils quittèrent la salle avec soulagement, ce dernier leur adressa un dernier mot du ton hautain qui n’était propre qu’à lui.
- Nous ne nous verrons pas la semaine prochaine dit-il, mes attributions ne m’en laisserons pas le temps. Le capitaine Massid se chargera de me remplacer. Vous préparerez néanmoins le devoir que je vous aie donné, le capitaine les ramassera.
Cette nouvelle fit naître un air de satisfaction sur les visages de la plupart des élèves. La stratégie était l’unique matière dispensée par Radzir, mais c’était également aux yeux des jeunes recrus, le moment le plus ennuyeux de la semaine.
Radzir était l’administrateur de l’académie, du moins en avait-il le titre. Si la qualité de ses cours était relativement discutable, plus que tout autre défaut, le peu de passion qu’il mettait à les dispenser les rendait insupportables. Radzir était là par obligation et ne mettait aucun entrain à prouver le contraire. À l’en croire, il avait d’autres attributions qui nécessitaient davantage son attention : il était le commandant de la garnison de la cité.
Les élèves sortirent du cours à la fois soulagé par la perspective de ne pas retrouver le commandant la semaine suivante et tendue face à celle de rendre leur devoir. Rhul et Khérus accompagné d’Enak et Tamarus se pressèrent pour ne pas manquer le début du cours d’histoire impériale du professeur Liadoc, seul civil enseignant à l’académie.
- Et bien cela nous fera du bien de ne pas le voir dit Khérus., « mes attributions ne m’en laisserons pas le temps, blablabla et bla»dit-il en imitant Radzir, je ne le supporte plus celui-là.
- Oui, ajouta Rhul et je suis curieux de voir comment Massid va le remplacer. J’ignorais qu’il avait des compétences de stratèges.
- Tu plaisantes ou quoi ? demanda Enak. Il a participé à des grandes batailles, il a servi sous les ordres de l’Empereur à ses débuts puis sous ceux de son fils Bolark.
- Olirk ! Le repris Tamarus.
- Oui c’est ce que j’ai dit, rétorqua Enak avec mauvaise fois. Enfin, tout ça pour dire que la stratégie, il connaît. Il a dû en voir défiler des plans de bataille.
- Je l’ignorais, dit Rhul.
- C’est qu’il n’est pas du genre à parler de lui. Il n’est pas prétentieux comme certains, dit Tamarus en faisant allusion à Radzir.
Soudain Enak qui était occupé à chercher quelques choses dans sa besace, pesta.
- Zut ! J’ai oublié de ramener le livre que le professeur Liadoc m’avait prêté, je l’ai laissé dans ma malle, je vais allez le chercher. Dites au professeur que j’arrive lança-t-il alors qu’il se dirigeait déjà en direction des dortoirs.
- Pourquoi est-ce qu’il a ce livre ? Demanda Khérus visiblement dépassé par le comportement de Enak, il ne trouve pas que l’on a assez de travail comme ça ?
- Tu sais qu’il est fou des cours de Liadoc, dit Rhul, ne me demande pas pourquoi, mais il en est fou.
- M’en parle pas dit Tamarus, il ne retient pas la moitié des noms qu’il y a dans ce bouquin, mais en tout cas il le lit tout le temps, tu n’as pas fait attention demanda-t-il à Khérus, rien qu’hier soir il a fallu que je lui demande trois fois d’éteindre sa bougie, il m’empêchait de dormir.
- Non, j’ai rien vu, répondit Khérus étonné.
- Rien d’étonnant, dit Rhul en riant, tu t’endors toujours avant les autres.
- Ouais c’est sûr que c’est pas toi qui perdrais ton temps à lire, ronfler c’est plus ton truc !
Pendant que les trois garçons étaient occupés à déterminer lequel d’entre eux était le plus insupportable compagnon de chambrée, Enak était déjà parvenu jusqu’au dortoir. Il fouilla dans sa malle et y trouva sans peine l’ouvrage du professeur Liadoc, un recueil écrit de sa propre main et qui recensait le lignage de la famille impériale sur plus de dix générations et les évènements les plus importants de leurs règnes. Il le glissa sous sa tunique et se pressa vers la salle de classe, il ne souhaitait pour rien au monde manquer le début du cours.
Il parvint à l’angle d’un couloir et arriva si vite qu’il manqua de percuter un groupe d’élève, il ne prit pas la peine de regarder de qui il s’agissait et murmura quelques mots d’excuse sans lever la tête.
- Tiens donc les gars, vous avez vu qui voilà dit Amarik Lesdag à l’intention de Gurik et Roda, ses plus fidèles et stupides sbires. On dirait que l’ont va pouvoir se faire Plaisir plus tôt que prévu, je sais que la vengeance se mange froide, mais on dit aussi qu’il faut battre le fer quand il est chaud.
Enak releva la tête et blêmit en voyant les yeux haineux d'Amarik, il regarda autour de lui et prit conscience de la panade dans laquelle il se trouvait. Il était seul face à trois brutes, mieux valait qu’il ne traîne pas trop dans le coin si cela était possible, il tenta de reprendre son chemin sans dire un mot.
- Attend une seconde, lui dit Amarik d’une voix faussement doucereuse, tu ne vas pas partir avant le début de la fête.
- Je, je n’ai pas le temps bredouilla Enak, le cours du professeur Liadoc doit déjà être commencé, vous devriez vous dépêcher.
- Comme il est drôle, dit Amarik en rattrapant Enak, le cours de Liadoc t’en a quelque chose à foutre toi, Gurik ?
- Rien du tout, cracha le dénommé Gurik en venant se mettre en travers du passage.
Enak tenta vainement de se faufiler entre Amarik et Gurik mais sentit la poigne ferme de ce dernier se resserrer sur son bras. Il tenta de se dégager, mais c’était peine perdue. Gurik était une force de la nature, encore plus impressionnante que Tamarus bien que nettement moins vif, tant du corps que de l’esprit. Enak prit une grande inspiration et vit sa courte vie défiler sous ses yeux, juste avant e recevoir un premier coup, en plein sur l’arrière du crâne. Ce fut le seul qu’il sentit réellement et ne vit que les visages de ses agresseurs tourbillonner autour de lui et disparaître dans une sorte de flou.
Lorsqu’il se réveilla, il sentit un flot de douleur le submerger. C'était comme si la moindre parcelle de son corps n'était plus que souffrance. Il ouvrit lentement les yeux et constata qu'il se trouvait dans un des lits de l’infirmerie, des visages qu’il lui fallu du temps pour reconnaître s’agitait au dessus de lui.
- Comment vas-tu mon garçon ? demanda une voix de basse.
- Il reprend connaissance, dit une seconde voix.
Enak discerna peu à peu les visages et finit par reconnaître le capitaine Massid et Dertis, Enak se demanda ce que le cuisinier faisait ici.
- Il a meilleure mine que tout à l’heure dit Dertis. Quand je l’ai vu allongé par terre, j’ai bien cru qu’il était mort.
Mort ! S’étonna Enak en se demandant si c’était bien de lui dont on parlait. Pendant un instant il ne se rappela pas de ce qui ne lui était pas arrivé.
- Qu’est ce que je fais ici ? Demanda-t-il, capitaine, qu'est-ce qui s’est passé ?
- Ça, c’est à toi de me le dire mon garçon, répondit Massid d’une voix calme peu dans ses habitudes. Dertis t’a trouvé dans le couloir prés des dortoirs, tu tenais ceci dans les mains. Massid tendit à Enak l’ouvrage du professeur Liadoc dont la couverture était souillée de tache noirâtre. Tu ne te souviens de rien ?
- Non, mentit Enak pour qui les images d’Amarik, Gurik et Roda lui revenaient doucement en mémoire.
- Qui t’a fait ça Enak ? Insista Massid.
Enak mentit de nouveau et eut un regard fuyant.
- Personne, j’ai dû glisser sur les vieilles dalles.
Massid le fixa droit dans les yeux et sembla comprendre qu’Enak ne parlerait pas.
- Très bien dit-il, comme tu voudras. Mais prend garde dorénavant, il n’y a pas que les dalles de cette académie qui soit glissante. Si tu sens que tu vas tomber de nouveau, fais-le-moi savoir avant de te retrouver par terre. En attendant, tu ferais bien de rester ici jusqu’à ce soir. Tu n’as rien de cassé, mais tu devrais te sentir pas très bien pendant plusieurs jours. Les dalles ne t’ont pas raté, il te sera difficile de suivre les entraînements. Tu viendras me voir demain après la revue, je te trouverais de quoi t’occuper.
Enak protesta.
- Mais ce n’est pas la peine, je me sens bien, ce n’était qu’un petit accident. Il tenta de se lever, mais sentit les muscles de son dos le cingler et se laissa retomber mollement sur le lit en gémissant.
- Depuis quand discute-t-on un de mes ordres demanda, Massid en ronchonnant avant de tourner les talons et de quitter l’infirmerie d’un pas décidé.
À peine le capitaine était-il sorti qu’Enak vit le visage de Khérus apparaître dans l’encadrement de la porte. Sa mèche en virgule rebiquait de plus belle sur son front reluisant de sueur, apparemment il avait couru pour venir jusqu’ici. Derrière lui, Rhul et Tamarus suivaient en rang serré.
- Qu’est-ce qui t’es arrivé ? Demanda Khérus sitôt rentré dans l’infirmerie.
- Une dalle! répondit Dertis qui était toujours dans la pièce, on se méfit jamais assez des dalles.
Rhul, Khérus et Tamarus regardèrent le cuisinier sans comprendre tandis que ce dernier quittait également l’infirmerie.
- Une dalle ? Demanda Tamarus.
- C’est rien dit Enak en souriant, faites pas attention à lui.
- Ouais, il est gentil, mais des fois il est un peu bizarre, dit Khérus.
- Alors, réponds, dit Rhul qu’est ce qui t’es arrivé, c’est Lesdag n’est-ce pas ?
Enak baissa les yeux et eut un silence qui en disait long. Il ne pouvait pas mentir à ses amis, mais ne pouvait pas non plus avouer qu’il avait pris une bonne correction, il avait presque aussi honte qu'il avait mal. Mais il n’eut pas à parler, ses camarades lurent dans son air penaud.
- Je m’en doutais dit Rhul, dés que je les vu rentrer en classe, j'ai remarqué à leurs sales airs réjouis qu'il avait dû faire un mauvais coup.
- Il va le payer ! Jura Tamarus, ils étaient tous les trois ?
Enak acquiesça d’un vague signe de tête et posa son regard sur le livre du professeur Liadoc sur la table de chevet. Il l’attrapa et constata qu’il était taché de sang. Il frotta la couverture du bout des ongles, mais le cuir était irrémédiablement imprégné.
- Il est abîmé, dit-il doucement.
- Ce n’est rien, ce n’est pas ta faute, dit Rhul. Liadoc ne t’en voudra pas. Il s’inquiétait de ne pas te voir à son cours et encore plus lorsqu’on est venu lui dire qu’il t’était arrivé un accident.
- Est-ce que j’ai manqué quelque chose d’intéressant ?
- Rien que tu ne connais déjà grâce à ce livre dit Khérus pour le réconforter un peu.
- Enfin, rien que tu n’aurais pas déjà oublié à l’heure qu’il est, ajouta Tamarus sur le ton de la plaisanterie.