Forum Mille Saisons

Pour les mêmes raisons que Selsynn, pour rêver, pour croire un instant que les problèmes réels pourraient se régler à coup de baguette magique. Pour voyager en dehors des contingences du quotidien. Pour aller en-dehors des limites... et vibrer avec des personnages qui ont des aventures hors du commun... voir des décors que certains ont pu imaginer, mais qui n'existent pourtant pas, ou alors, loin d'ici. En tant que grande rêveuse, ces deux styles répondent à un besoin vital.

Il me semble que la littérature, la "bonne" littérature, doit traiter de la transcendance, voire de la mystique (eh oui, je suis catho). Il existe des thèmes éternels, et j'insiste là-dessus, car cette expression peut paraître galvaudée. Mais l'amour/haine, la mort/vie, la souffrance/joie; le bien/mal, l'amitié, le pouvoir, et même cette chose dont on pressent qu'elle n'existe pas mais qu'on ne peut s'empêcher de voir à l'oeuvre dans sa vie ou celle des autres, c'est à dire le destin ou la fatalité, tous sont des thèmes qu'abordent la littérature aussi loin que l'on puisse remonter. Relisez donc l'épopée de Gilgamesh ou l'Iliade, pour voir. La littérature ne parle que de ça, ou plutôt devrait.
Car la "blanche", trop souvent, devient une activité nombriliste (voir Houellebecq, par exemple, ou Bret Easton Ellis).
En plus de ces "thèmes éternels", la "blanche" oublie fréquement, comme certains l'ont déjà écrit, le simple plaisir du conte qui doit remonter aux premières veillées paléolithiques autour du feu de camp. N'ayons pas peur des mots: la distraction.
Ce qui fait d'un roman, d'une nouvelle, d'un conte, d'un poème ou autre, une grande oeuvre, c'est l'alliance de la narration prenante avec le tragique et la transcendance de la condition humaine. C'est ce qui fait qu'elle parle, qu'elle vit. C'est le Verbe agissant qui flottait sur l'eau.
A ce titre, la maladroite et vaine quête d'absolu d'Emma Bovary, transformée en victime de la fatalité, vaut autant que, par exemple, la mission de Frodo ou d'Ender. On pourrait multiplier les exemples.
J'en viens au vif du sujet: pourquoi est-ce que j'aime le fantastique ou la fantasy? Ces genres, je les aime lorsqu'ils réunissent les éléments cités plus haut. Mais j'apprécie autant la "blanche " quand elle fait de même. Je ne croie pas qu'un genre soit fondamentalement supérieur à un autre (même si je m'amuse à critiquer vertement le polar). Un bon livre est un bon livre, point barre. Il faut simplement que l'auteur adopte le style ou le genre adapté, c'est tout.
Je dois cependant admettre qu'une certaine proportion de la SFFF se contente d'aligner les clichés commerciaux. Je m'endors d'ailleurs régulièrement en lisant les quatrièmes de couverture des bouquins de fantasy. Mais c'est autant vrai pour la "blanche".
Bref, SFFF ou "blanche", même combat!

Entièrement d'accord avec toi, il y a beaucoup de littérature blanche ou SFFF très mauvaise, et un bon auteur est à mon avis capable d'écrire dans tous les styles.
La SFFF fait la part belle au rêve, et ça, ça me botte !

Je parcourais récemment un article écrit par un lecteur qui expliquait pourquoi il n'arrivait pas à apprécier la fantasy. Ses arguments tenaient en deux points essentiels:

1/ Pourquoi créer des univers imaginaires alors qu'il y a dans le nôtre tant de choses à découvrir, à explorer, tant d'éléments fascinants et étranges?
2/ Pour que le lecteur y trouve un intérêt, il faut que cet univers, quoique inventé, se rattache à ce que nous connaissons déjà, nous renvoie à notre propre réalité. Pourquoi, dans ce cas, avoir pris la peine de créer un univers imaginaire?

J'ai beau être un lecteur de fantasy plus ou moins assidu depuis une quinzaine d'années, je serais incapable de répondre quoi que ce soit à ces arguments. Et vous?

Ce n'est pas de moi...


René Barbier (Université Paris 8):

"Mais, d'une manière encore plus radicale, imaginer, rappelle Jacques Ardoino en suivant C. Castoriadis, c'est "créer, en fonction de l'expérience acquise et actuelle, autre chose que ce qui était déjà là , préexistant, disponible ou encore ignoré" . Il s'agit d'une véritable mise en acte d'une capacité de création et d'invention qui opère une rupture avec l'ordre établi de la symbolisation habituelle. Nous pouvons dire que l'imagination est la mise en oeuvre, dans ce cas, d'une "sensibilité généralisatrice" complètement reliée au réel, à la Nature qui advient par son truchement créateur."

C'est TRES intéressant, mais faut l'aspirine á portée de main.

L'adresse :http://www.barbier-rd.nom.fr/Histoiredimaginaire.htm

Oliv a écrit :Je parcourais récemment un article écrit par un lecteur qui expliquait pourquoi il n'arrivait pas à apprécier la fantasy. Ses arguments tenaient en deux points essentiels:

1/ Pourquoi créer des univers imaginaires alors qu'il y a dans le nôtre tant de choses à découvrir, à explorer, tant d'éléments fascinants et étranges?

Parce que.

2/ Pour que le lecteur y trouve un intérêt, il faut que cet univers, quoique inventé, se rattache à ce que nous connaissons déjà, nous renvoie à notre propre réalité. Pourquoi, dans ce cas, avoir pris la peine de créer un univers imaginaire?

Parce que.

Sans doute une question de "facilité" (les guillements sont importants), de possibilité de prendre des distances avec un modèle même si on s'est bien documenté... Pas seulement pour contourner l'écueil que représentent les inévitables erreurs si on se lance dans un truc "réel", mais aussi pour rajouter du strass et des paillettes si on veut (ou juste une broderie discrète si on a bon goût), genre de la magie et autres trucs inconnus dans nos contrées bassement matérielles, ou des trucs qui auraient été anachroniques.

Par exemple.

(Cela dit mon truc c'est plus la SF, où ces questions se posent un tout petit peu moins, a prori. Et il y a quand même des gens qui ont du mal à accrocher. Suspention d'incrédulité, tout ça.)

Et puis si inspiration "d'après nature" il y a, et que l'auteur a l'intelligence de citer ses sources, le lecteur non moins intelligent pourra aller de son plein gré se gaver d'informations concrètes, étonnantes et pourtant authentiques (s'il fait ses recherches correctement), et il aura les yeux qui brillent d'émerveillement et louera l'auteur qui lui aura fait découvrir toutes ces choses étranges de la vraie réalité vraie.

Lorsque j'étais ado, si je voulais me changer les idées en lisant, on avait le choix entre la littérature blanche et la science fiction ; la science fiction était pour moi liée au futur (anticipation ou histoires dans l'espace, sur d'autres planètes...), je n'y accrochais pas ; je trouvais triste de lire des histoires qui se passaient de nos jours parce que je ne pouvais pas m'évader avec elles ; j'ai alors découvert et adoré les héroïnes qui vivaient dans une autre époque, comme les romans de Juliette Benzoni (sa série "Catherine", très bien documentée, nous replonge dans la guerre de cent ans, dans la dispute Armagnacs-Bourguignons... Bon d'accord, c'est très romancé, mais c'est aussi historique).
Puis, un jour, est arrivé Harry Potter ; c'était le premier livre qui, se passant de nos jours, arrivait à m'enchanter autant ; j'ai alors recherché ce genre de littérature et ai découvert la fantaisie actuelle (il y a moins de deux ans).
Je me suis alors constituée toute une bibliothèque du genre fantaisie/fantastique par peur que ce ne soit qu'une question de mode et que bientôt ces livres ne soient plus publiés (pour les avoir sous la main quand je veux) ; dans tout ce que j'ai acheté, il y a du bon et du mauvais, mais j'ai tellement manqué de cette littérature lorsque j'étais plus jeune que je préfère encore lire une mauvaise histoire de fantaisie que d'ouvrir un livre de littérature blanche actuelle (Musso et compagnie).
Pour moi, lire c'est rêver, quitter son quotidien et ses horreurs (les informations à la télé) ; et cette idée de rêve est tellement importante pour moi que j'irai jusqu'à ne pas acheter un livre qui ne présente pas bien (l'univers de la fantaisie commence par une belle couverture!) même si l'histoire me semble bien (cf. "Lady R" : cette histoire me fait saliver, mais ce vert sur le tranchant me fait reculer à chaque fois que j'envisage de l'acheter).

Pour répondre á la question de départ : parce que la fantasy et le fantastique permettent l'irruption du merveilleux et de l'impossible dans ma réalité. C'est davantage qu'une question d'imagination ou d'évasion.

En fait, la littérature blanche également m'offre cette évasion, tout comme les textes scientifiques ou documentaires... Ce que je lis á l'instant t n'est pas ce que je vis en ce meme instant t, et meme ce que je connaissais juste avant. Je percois cette distance comme une zone floue, intangible, que mon imagination s'empresse alors de combler en interpretant les données lues.
Dans cette mesure, ce que je ne connaissais pas, que ce soit tiré d'un monde inventé (ou réinventé, pour faire plaisir á ceux qui pensent que rien ne se crée, tout existe déjá en ce bas-monde) par la littérature blanche ou la SFFF, ou exposé sur le notre dans un ouvrage scientifique, est á la base une fiction.
Dans le cas de la SFFF je l'estampille définitivement comme oeuvre fictionnelle : elle n'a pas vocation de m'instruire sur la réalité de notre univers, elle ne possede pas les preuves nécessaires pour passer dans le domaine du crédible, du vrai, du réel. Elle en retranscrit peut-etre certains mécanismes, s'inspirent certainement de certains de ses aspects, mais la conclusion demeure : c'est du roman.
Un texte documentaire ou scientifique, je le classe comme non-fiction bien qu'il traite d'une partie de notre univers que je ne connaissais pas (ou partiellement) et dont je n'ai pas l'expérience (ou pas á partir du point traité). Mais je peux dire la meme chose d'un texte de genre fantasy ! Ne construit-il pas sur du vrai, sur du réel ? Si.
Ce qui me fait dire que c'est la garantie de l'éditeur, le sérieux "scientifique" de l'auteur, d'éventuels documents annexes ou sources réputées scientifiquement crédibles, qui lui confere sa garantie de non-fiction. Pourtant, mon imagination a travaillé tout autant á sa lecture.

C'est pour cette raison que, d'apres moi, mon gout pour la SFFF ne nait pas par le pouvoir de ces genres d'éveiller mon imagination et de solliciter l'évasion, mais plutot par leur capacité (et la science fiction avec une aisance notable) d'introduire á mon instant t de lecture (et je tiens pour important ce facteur temps) le merveilleux, l'invérifiable, l'impossible.

Moi j'aime la fantasy ou le fantastique.Que je peux oublier la cruelle réalité