Beorn a écrit :Eh bien, pour certains, peut-être, pour moi non, ça ne me suffit pas. Moi j'ai besoin de ces choses si méprisées que sont l'émotion et l'identification. La littérature, art froid, ce n'est pas pour moi.
Là dessus, je ne suis pas d'accord ; enfin, j'extrapole sûrement sur ce que tu penses, mais Proust n'est pas selon moi un auteur "froid".
Je trouve un peu injuste qu'on le considère comme un auteur purement nombriliste se préoccupant plus de son petit délire que de son lecteur. Méprise ! Déjà on le sait depuis bien longtemps : parler de soi, c'est la meilleure façon d'atteindre l'autre au final. Ce n'est pas parce qu'on dit "je" qu'on est pathétique et compagnie, c'est seulement quand on dit "je" qu'il peut y avoir un vrai "tu". Se livrer soi-même est un acte généreux, particulièrement en littérature, il est dangereux, ambigu, et souvent mal compris ; il est pas narcissique, surtout quand il se fait avec honnêteté et sincérité. Après il faut avoir soi-même, en tant que lecteur, l'envie de découvrir et de comprendre, plutôt que celle de consommer de la manière la plus reposante, confortable, et digeste possible, ce qui nous est proposé. Se mettre autant en danger que l'auteur au final pour répondre à son acte qui lui-même était périlleux. (Enfin, je ne vais pas m'étendre plus en avant, les discours anti "je" me sont pénibles, et puis j'arrête pas de parler de ça en ce moment enfin - faut lire mon blog à la limite.)
Par ailleurs, ne pas confondre auteur et héros - règle de base. On reste dans la fiction.
Sinon il m'est difficile de penser à
La Recherche en termes d'intrigue et de roman. J'ai du mal à envisager les livres comme des romans. Je ne saurais pas comment définir le tout. J'ai peut-être tort. Et puis par ailleurs je n'ai pas terminé le tout donc j'en reparlerai sûrement plus tard.
Il me semble quand même que ce n'est pas tant ce qui est décrit qui compte, mais le regard à travers on regarde ce qui passe. Il y a des passages vraiment très émouvants dans l'oeuvre, qui m'ont bouleversée, autrement que dans d'autres oeuvres plus noires, plus douloureuses peut-être ; mais l'émotion était réelle, elle était très profonde, intense, sans perdre de cette délicatesse pudique, et cette sincérité qui me touchent beaucoup. Justement, je pense que l'émotion, le sentiment, la perception, les sensations priment peut-être sur l'intrigue, et c'est sûrement difficile à appréhender pour n'importe quel lecteur qui ne se "sent" pas d'entrer vraiment, pour de bon, dans le texte. Il y a quelque chose de très sensuel par delà les très nombreuses références très érudites, par delà les tournures parfois très complexes. On plonge aussi, de manière moins frontale et perturbante chez que Faulkner, mais de manière tout aussi vertigineuse finalement, dans l'intériorité d'un être. Et je ne pense pas qu'on puisse savourer vraiment, pour de bon, Proust, en se contentant d'une phrase ou d'un paragraphe de temps à autre... Ce serait comme se repaître d'un grain de riz selon moi.
Quant aux Khâgneux, loin de moi de décrier l'éducation nationale (mais presque), mais je dois dire que l'instruction ne joue pas souvent un rôle favorable dans l'appréciation des oeuvres finalement - ce qui est dommage.
Et moi j'aime Proust alors : prout !