J'ouvre ce sujet pour expliquer un peu en détail ce que j'entends par "intimité livresque", expression que j'ai employée dans le sujet sur la Comtesse de Ségur.
Lorsque j'ai appris à lire, les livres sont devenus ma passion.
En fait, non, je peux vous l'avouer, je fabriquais des livres avant de savoir lire... Mais une fois que j'ai su, un univers entier s'est ouvert à moi, et je m'y suis plongée avec déléctation.
Malheureusement, mes parents veillaient au grain et certains livres m'étaient interdit. Je respectais l'interdiction, jusqu'au jour où j'ai lu Comme un Roman de Daniel Pennac. Je devais avoir huit ans. D'accord, l'interdiction n'a pas fait long feu entre cinq ans et demi et huit ans, mais quand même. Une copine me l'avait montré, et j'avais demandé à mes parents qu'ils me l'offrent pour pouvoir le lire. Ô joie, ô bonheur, ils se sont exécutés, sans se douter du danger.
J'ai dévoré ce bouquin, et lu, à la fin, avec la plus grande attention, les droits imprescriptibles du lecteur, notamment le 5 et le 10*.
A partir de cet instant, plus rien ne m'a arrêtée. J'ai lu La Boum, que l'on m'interdisait, en cachette, pour en conclure que si mes parents ne me l'avaient pas interdit, je ne l'aurais pas lu tellement c'est naze. J'ai dévoré de plus en plus de livres, et ça ne s'est toujours pas arrêté, avec les conséquences que vous savez.
De fait, une fois rentrée de l'école, ou lors de réunions familiales interminables, je me plongeais discrètement dans un roman. De toute façon, lire ou regarder dans le vide en attendant que ça passe, le choix était vite fait.
Je lisais énormément - ça n'a pas changé - mais ne parlais pas de ce que j'avais lu - ça n'a pas changé non plus - parce que d'une part tout le monde s'en fichait, et d'autre part, ça n'appartenait qu'à moi.
Je ne sais pas si c'est le "Syndrôme de la chambre commune" ou bien purement égoïste, mais la lecture était devenue mon refuge rien qu'à moi, et je ne permettais à personne de venir m'y embêter.
Mes parents ont mis du temps à comprendre que je ne parlerai pas même sous la torture de ce que je lisais. Ce qui les rassurait, c'est que les livres que je lisais à l'époque avaient été lus par eux et par mes frère et soeurs sans conséquences néfastes.
Ca a duré jusqu'à ce que je découvre l'existence et le pouvoir du Franc. Lorsque j'eus bien compris que Franc + Franc = livre, j'ai économisé chaque Franc que mes parents me donnaient pour m'offrir un Livre - et parfois une tomate ou un pain viennois, en sortant de mon cours de piano, mais c'est une autre histoire.
Du coup, ils ne pouvaient plus surveiller mes lectures. Niark. J'avoue, jusqu'à douze ans, je carburais à romans-pas-méchants, que ma mère avaient lus aussi étant petite, comme les Alice Détective, par exemple. J'ai ensuite diversifié mes lectures, ce qui explique que ma bibliothèque fut régulièrement fouillée, et que ma mère vérifiait les livres que j'empruntais à la Bibliothèque. Malgré tout, je ne parle toujours pas de mes lectures, sauf pour répondre "Hum, déjà lu", parce que lire est une expérience intime, que l'on ne partage que si l'on est en confiance.
Par exemple, j'ai avoué à Oliv vouloir acheter un roman que j'ai lu il y a fort longtemps, dans lequel il ne se passe rien, et qui n'est même pas particulièrement bien écrit, mais qui m'a "parlé". Je ne vous dirai pas le titre, vous vous moqueriez. C'est bien pour ça que je parle "d'intimité".
Intimité aussi, parce que nos lectures nous construisent. En ce qui me concerne, j'ai "appris à vivre" dans les livres. Et ils m'ont sauvé la vie à plusieurs reprises. Un sage - en fait, une personne intelligente sur un forum, peut-être celui-ci ? - a dit "aime les livres et ils te le rendront".
Et par pudeur, je ne déclare ma flamme en public que lorsque tout le monde est déjà au fait, et que je suis grillée.
Livres, je vous aime.
[Oliv aussi, mais c'est une autre histoire

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* Les droits imprescriptibles du lecteur :
1. Le droit de ne pas lire.
2. Le droit de sauter des pages.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
4. Le droit de relire.
5. Le droit de lire n'importe quoi.
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
7. Le droit de lire n'importe où
8. Le droit de grappiller.
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.